Le bras de fer se raidit entre Pékin et Washington. Pour rééquilibrer
une balance commerciale défavorable, Trump a lancé une nouvelle
offensive. Au-delà de la guerre commerciale et de la confrontation sur
la technologie et l’innovation qui se profile, c’est une guerre pour
l’hégémonie.
President Donald J. Trump and President Xi Jinping, 8 July 2017, Germany, the G20 Summit.
President Donald J. Trump and President Xi Jinping, 8 July 2017,
Germany, the G20 Summit.• Crédits : Wikicommons / Official White House
Photo by Shealah Craighead
Autour de Christine Ockrent :
Sebastien Jean, Directeur du CEPII (Centre de recherche français dans le domaine de l’économie internationale).
“Il est important de rappeler que la campagne de Donald Trump a été
très agressive à l’égard de la Chine, avec des termes très crus, ‘La
Chine a violé les Etats-Unis’…par exemple, il y avait vraiment une
montée très forte à ce niveau-là.” “Pendant l’année 2017, il y a eu un
renforcement dans l’activité des droits anti-dumping, mais surtout les
Américains ont lancé l’enquête sur les transferts de technologie forcés
de la chine, le non respect du droit de propriété intellectuelle (c’est
venu à échéance en mars 2018). Le prétexte officiel est focalisé sur les
technologies, le droit de propriété intellectuelle”.
“Il y a une obsession de Donald Trump pour les déficits commerciaux,
c’est à commencer par là, y compris dans la dimension bi-latérale, ‘ils
nous volent, ils gagnent sur nous, 500 milliards par an…’ Il y a un
glissement progressif qui s’est produit et qui a déplacé le terrain vers
quelque chose de beaucoup plus profond, qui est la rivalité stratégique
entre la Chine et les Etats-Unis, en particulier sur le secteur de
haute technologie.”
En duplex depuis Genève, Mathilde Lemoine, Professeur de
macro-économie à Sciences Po Paris, Group Chief Economist d’Edmond de
Rothschild et ancien membre du Haut Conseil des finances publiques. Elle
a co-publié Les grandes questions d’économie et de finance
internationales : décoder l’actualité De Boeck 2016.
“Cet engrenage trouve son origine dans la perte de compétitivité de
l’économie américaine d’une part, et d’autre part dans les ambitions
affichées de Xi Jinping et sa détermination à faire de la chine un
leader mondial.”
“Les Etats-Unis se sont réveillés, en voyant le monde s’accélérer
sans eux… Il y a eu l’européanisation au début des années 2000, et il y a
en ce moment l’asiatisation… L’Asie a pris une part beaucoup plus
importante…. La crise financière a mis exsangue les économies
occidentales. Et la chine en a profité pour prendre du leadership. C’est
un contexte macro-économique très différent qui s’est ouvert, depuis la
crise financière et qui a renforcé la détermination américaine a
essayer d’obtenir des concessions chinoises dans le dialogue bilatéral”.
Depuis Bruxelles, Pascal Lamy, Président d’honneur de Notre Europe –
Institut Jacques Delors, ancien Directeur général de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC). Il a publié avec Nicole Gnesotto, Où va le
Monde? chez Odile Jacob.
« Il y a deux interprétations possibles à l’ agressivité
internationale sur le plan commercial de Trump : soit il essaie de
foutre en l’air le système construit depuis 70 ans, de casser le
multilatéralisme pour revenir au bilatéralisme…, soit, comme il le dit
dans son livre, désormais célèbre, The Art of the deal… : ‘ pour bien
négocier, il faut donner des coups de poings à son adversaire, pour bien
le déstabiliser et puis après le soulager ‘, c’est peut-être ce qu’il
est en train de faire, il secoue le système, non pas pour le détruire,
mais pour l’améliorer au profit des Etats-Unis, et d’ailleurs, de ce
point de vue-à, on doit le créditer, quelle que soit notre opinion,
d’avoir mis cette question chinoise sur la table ».
Depuis Boston, Philippe Le Corre, chercheur à la Harvard Kennedy
School et contributeur à l’Institut Montaigne. Il a publié avec Alain
Sepulchre, L’offensive chinoise en Europe, chez Fayard en 2015.
“Trump a réussi à déstabiliser le leadership chinois…” “En chine,
beaucoup d’analystes, de responsables se demandent, si les Chinois ont
bien fait d’être aussi offensifs sur le plan rhétorique, commercial et
technologique, face à des Etats-Unis, un Occident qui répondaient
mollement jusqu’à l’arrivée de Donald Trump, qui a réussi à rallier du
monde, face à une Chine qui semble prendre des positions contre
l’Occident.”
La revue de presse d’Eric Chol de Courrier International
Eric Chol, Directeur de la Rédaction de Courrier International propose
une sélection d’articles sur lesconséquences de la guerre commerciale
entre la Chine et les Etats-Unis sur la politique intérieure chinoise.
Plusieurs journaux le relèvent, la montée des tensions à laquelle on
assiste depuis le début de l’année, et qui s’est accélérée ces derniers
jours, n’est pas forcément du goût de tout le monde en Chine, et
notamment au sein des classes moyennes .
Comme l’écrit le South China Morning Post,
« la guerre commerciale de Donald Trump a peu de chances de renverser
le modèle politique et économique en Chine. Mais il pourrait donner un
coup de pouce aux partisans d’une ligne dure à Pékin, ceux qui cherchent
à renforcer le contrôle de l’Etat et les restrictions sur la société » »
; et le journal hongkonais poursuit : « ce sont les classes moyennes
qui risquent d’en faire les frais ».
Ce débat sur la politique économique agite depuis plusieurs mois le
Parti communiste chinois, où s’affrontent deux tendances.
Officiellement, les médias chinois prônent toujours l’ouverture et la
réforme, rapporte le magazine américain The Atlantic, qui consacré une
longue enquête sur l’impact politique de cette guerre commerciale. Mais
cette année, poursuit le journal, le 40ème anniversaire de célébration
des réformes de Deng Xiaoping a été jeté aux oubliettes pour vénérer Xi
Jing ping et son père, un ancien pilier du régime communiste. Un
tournant qui ne plait guère à une partie de l’élite chinoise, qui se
montre préoccupée par cette priorité donnée par Xi Jinping au rôle de
l’état dans l’économie. En privé, certains intellectuels et
universitaires ont même confié à l’auteur de l’article de The Atlantic
qu’ils soutiennent bien sûr avec prudence, la guerre commerciale initiée
par Donald Trump, car ils considèrent que cette colère de l’Amérique
est sans doute le seul moyen de faire pression sur Xi Jinping et de
revenir à une politique de libéralisation.
Cette élite libérale a-t-elle une chance d’être écoutée ?
Rien n’est moins sûr, tant les divergences sont fortes au sein du
pouvoir. En réalité, ces libéraux défendent les intérêt de la nouvelle
classe moyennes chinoise, composée de cadres ou de petits entrepreneurs
privés qui représente entre 300 et 400 millions de chinois, aujourd’hui,
mais qui, selon Le South China Morning Post, pourrait ne pas se monter
aussi patriotes que le souhaite le gouvernement. Aux yeux de Pékin,
écrit le quotidien, tout doit être mis en œuvre pour ponctionner
davantage le secteur privé chinois, en faveur de l’Etat, des dépenses
publiques d’infrastructures et des investissement dans les entreprises
publiques, une stratégie destinée à contrebalancer l’impact de la guerre
commerciale. Le journal poursuit :
« cette guerre commerciale peut offrir une opportunité aux faucons de
nettoyer cette pensée libérale, devenue populaire au sein des classes
moyennes ces dernières années ».
Au final, insiste le commentateur politique du South China Morning
Post, cette guerre commerciale pourrait permettre à Pékin de sacrifier
la classe moyenne pour revenir à une vision plus conservatrice du pays.
Sur le plan externe, la Chine cherche de nouveaux amis
En effet, on voit depuis quelques semaines Xi Jin ping partir en
campagne pour recruter de nouveaux soutiens et en particulier, les
alliés traditionnels des Etats-Unis , comme le Japon, l’Europe ou l’Inde
, raconte la Nikkei Asian Review. On a ainsi vu Xi Jinping se rendre à
ma mi-septembre au Forum économique d’Orient à Vladivostok, une première
pour le président chinois, et discuter en marge du sommet avec le
premier ministre Shinzo Abe. Signe du réchauffement diplomatique entre
les deux pays, un sommet sino-japonais est déjà programmé pour le mois
d’octobre en Chine. «
“Mais attention, prévient l’hebdomadaire japonais, même si Xi fait
preuve d‘une attitude amicale, le monde doit continuer à rester prudent
avec Pékin.”