Au Soudan, alors que les cendres des derniers combats de la
révolution sont encore chaudes, le peuple, déchiré par la guerre, se
rêve un avenir plus lumineux. Cet espoir est en grande partie incarné
par un homme : le nouveau premier ministre Abdalla Hamdok. L’économiste
a, en effet, la lourde tâche de relever une économie abattue par des
conflits qui consommaient jusqu’à 70% du budget national.
Ces dernières heures, les médias du monde entier avaient les yeux
braqués sur le Soudan. A Khartoum, Abdalla Hamdok, le nouveau premier
ministre faisait face à l’un des nombreux casse-têtes qui occuperont ses
journées durant les 3 prochaines années. Celui qui partage le pouvoir
avec le général Abdel Fattah Al-Burhan, président du nouveau conseil
souverain de la transition, doit nommer les ministres du premier
gouvernement civil soudanais de ces 30 dernières années. Initialement
prévue pour être rendue publique mercredi, la liste tarde à poindre,
prouvant à quel point la tâche confiée à Abdalla Hamdok s’annonce
difficile.
En premier lieu, installer un climat de paix dans un pays qui reste une véritable poudrière.
Entre les revendications des différents mouvements politiques,
notamment ceux des régions marginalisées réclamant une meilleure
représentation, et celles des femmes qui se sentent écartées de la
gestion du pays, on imagine bien le casse-tête que représente la
composition de ce gouvernement. Seulement, ce n’est que le début de 3
années durant lesquelles il devra trouver le moyen de remettre sur pied
une économie qui s’est effondrée depuis 2011. Pour cela, il faudra,
entre autre, sortir la nation de l’autarcie dans laquelle elle s’est
enlisée, déjà pour lever les nombreuses sanctions dont fait l’objet le
pays, mais aussi pour attirer des investisseurs étrangers. Heureusement,
Abdalla Hamdok, ancien collaborateur des Nations Unies, sait dialoguer
avec la communauté internationale.
« Arrêter la guerre et redresser l’économie », facile à dire…
« Les priorités du gouvernement seront d’arrêter la guerre, de
construire une paix durable, de faire face à la sévère crise économique
et de mettre en place une politique étrangère équilibrée », avait
expliqué Abdalla Hamdok à la presse, peu de temps après avoir prêté
serment le 20 aout dernier. Résumée aussi simplement, la mission du
nouveau premier ministre soudanais n’en est pas moins colossale. En
premier lieu, installer un climat de paix dans un pays qui reste une
véritable poudrière s’annonce compliqué. En effet, malgré la récente
accalmie provoquée par la nomination d’Abdalla Hamdok, la tension au
sein du pays n’a pas pour autant disparu. La preuve en est que des
forces anti-gouvernementales comme le Mouvement de libération du Soudan
de Minni Minnawise sont massées à la frontière de la Libye, pour
protester contre une « confiscation de la révolution » par le mouvement
des Forces pour la liberté et le changement.
La preuve en est que des forces anti-gouvernementales comme le
Mouvement de libération du Soudan de Minni Minnawise sont massées à la
frontière de la Libye, pour protester contre une « confiscation de la
révolution »
Pour Minni Minnawi, qui pense que ce mouvement va s’arroger tous les
postes ministériels, « la liberté ne se réalisera qu’avec davantage de
lutte ».
2revolution
La tension au sein du pays n’a pas pour autant disparu.
A ces menaces, s’ajoutent les ambitions toujours présentes des
militaires qui doivent partager, pour la première fois en 30 ans, le
pouvoir avec les civils. D’après plusieurs experts, le général Hemedti,
par exemple, envisage toujours de devenir président d’un pays ou le
peuple crie son ras-le-bol des gouvernements militaires.
Depuis la sécession du Sud en 2011, le Soudan a perdu les trois
quarts de ses réserves de pétrole. Pour ne rien arranger, 20 ans de
sanctions américaines ont plombé la situation économique du pays.
Aujourd’hui, le Soudan fait face à une inflation galopante, une chute
continue de la valeur de sa monnaie, des pénuries chroniques de biens de
première nécessité et un important manque en devises étrangères. Cette
toile de fond, avec la multiplication par 3 du prix du pain, avait
poussé les Soudanais à lancer leur révolution en décembre 2018.
Les ambitions d’Hemedti restent une menace pour la démocratie soudanaise
Abdalla Hamdok en est conscient : il n’y aura pas de paix dans une
telle situation économique. D’après lui, il faudra 10 milliards de
dollars d’aides étrangères sur 2 ans pour amorcer une sortie de crise.
Encore faut-il les obtenir d’une communauté internationale qui a eu des
relations très tendues avec le Soudan ces dernières années.
Heureusement, le profil du nouveau premier ministre laisse penser qu’il
peut réussir à renouer le dialogue.
Un économiste qui sait parler à la communauté internationale
Aussi bien pour régler ses problèmes économiques que pour changer son
image au plan international, le Soudan aurait difficilement pu trouver
un meilleur profil que celui d’Abdalla Hamdok. Né en 1956 au Kordofan du
Sud, le nouveau premier ministre cumule plus de 30 années d’expérience
en économie mais également de bonnes relations avec plusieurs grandes
organisations Internationales. Après l’obtention de son baccalauréat, il
décroche une licence en sciences économiques de l’Université de
Khartoum. Dans la foulée de l’obtention de son diplôme, il débute sa
carrière professionnelle au ministère des finances du Soudan en 1981. Il
continue d’y travailler jusqu’en 1987, année durant laquelle il obtient
un emploi au ministère de l’agriculture. Peu de temps après sa prise de
service, il obtient une bourse du centre culturel britannique pour
étudier en Angleterre. A cette époque, en 1989, lorsqu’Omar El-Bechir
arrive au pouvoir à la faveur d’un putsch, Abdalla Hamdok, qui n’est pas
un admirateur du nouveau chef d’État décide de s’exiler.
A cette époque, en 1989, lorsqu’Omar El-Bechir arrive au pouvoir à la
faveur d’un putsch, Abdalla Hamdok, qui n’est pas un admirateur du
nouveau chef d’État décide de s’exiler.
Il décide alors de partir en Grande-Bretagne perfectionner ses
connaissances à la School of Economic Studies de l’université de
Manchester. Il y obtiendra un doctorat en sciences économiques. Il part
ensuite pour le Zimbabwe où il rejoint, en 1993, le cabinet Deloitte. De
1995, année durant laquelle il quitte Deloitte, à 1997, il travaille en
tant que conseiller technique principal à l’Organisation internationale
du travail, toujours au Zimbabwe. Il devient ensuite économiste
principal en politiques à la Banque africaine de développement, en Côte
d’Ivoire. En 2001, il quitte ce poste pour diriger successivement les
activités de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique
dans le domaine de la gestion des politiques de développement, puis du
Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique et de
l’intégration régionale. Entre 2003 et 2008, il a occupé le poste de
directeur régional pour l’Afrique et le Moyen-Orient pour l’organisation
intergouvernementale « International IDEA ». Il part ensuite pour
l’Éthiopie, où il se lie d’amitié avec le Premier ministre de l’époque
Meles Zenawi. Ce dernier le nomme conseiller en chef de la Banque de
commerce et de développement à Addis Abeba.
Il part ensuite pour l’Éthiopie, où il se lie d’amitié avec le
Premier ministre de l’époque Meles Zenawi. Ce dernier le nomme
conseiller en chef de la Banque de commerce et de développement à Addis
Abeba.
En 2016, il obtient le poste de secrétaire général du Conseil
économique et social de l’ONU. Son rayonnement est tel que même Omar
El-Bechir, qui ne l’apprécierait pas particulièrement, lui propose le
poste de ministre des Finances du Soudan. Abdalla Hamdok refuse l’emploi
en précisant qu’il se rendrait disponible pour servir son pays «quand
les conditions seraient réunies». Un an plus tard, après la chute de
l’ancien président et la victoire du peuple contre le pouvoir militaire,
Abdalla Hamdok devient Premier ministre.
Le nouveau premier ministre veut miser sur l’agriculture pour « faire
passer l’économie soudanaise d’une économie basée sur la consommation
et les importations à une économie productive, et cesser d’exporter des
produits tels que le bétail et l’agriculture en tant que matières
premières ».
Il a 3 ans pour remettre l’économie soudanaise sur le droit chemin.
Son plan pour y arriver passe par deux étapes clés. D’abord, il veut
réchauffer les relations de son pays avec la communauté internationale.
En effet, si l’embargo économique américain est levé depuis 2017, il
faut encore que les États-Unis retirent son pays de la liste noire des «
États soutenant le terrorisme ». Ensuite pour relancer l’économie, le
nouveau premier ministre veut miser sur l’agriculture pour « faire
passer l’économie soudanaise d’une économie basée sur la consommation et
les importations à une économie productive, et cesser d’exporter des
produits tels que le bétail et l’agriculture en tant que matières
premières ».
Il a 3 ans pour remettre l’économie soudanaise sur le droit chemin.
Enfin, l’économiste aura besoin d’un peu de chance, pour que les
différents antagonismes et ambitions ne ravivent pas les flammes
bellicistes des différents mouvements armés du pays. Trois ans de calme,
c’est tout ce qu’il faut souhaiter au grand Soudan pour installer une
paix durable et espérer un meilleur avenir…